Rendre un produit plus éco responsable
2/5/2022
Flygskam. C’est le mot suédois qui évoque la honte de prendre l’avion et donc de polluer la planète. Mais connaissez-vous celui qui traduit le sentiment de culpabilité d’utiliser le numérique ? Non ?
Normal, il n’existe pas. Pourtant, l’écosystème mondial numérique serait à l’origine de 4 % des émissions de gaz à effet de serre… soit plus que le transport aérien ! Et selon certaines projections, ce chiffre pourrait monter à 10 % dès 2040.
Alors, certes, cette pollution proviendrait pour les trois quarts de la fabrication des terminaux (téléviseurs, ordinateurs, smartphones etc.). Mais les concepteurs et conceptrices de produits numériques ont aussi leur responsabilité et leur mot à dire face à cet enjeu.
“Notamment les Product Managers (PM) qui disposent du “super pouvoir” de mise en place des bonnes méthodes pour intégrer ces questions d’éco-conception dans le quotidien des équipes produit”, indique Alexandre Takacs, Product et UX leader indépendant disposant d’une quinzaine d’années d’expérience dans la tech (Meetic, Viadeo, L’Express) et spécialisé sur ces sujets depuis une crise de sens vécu dans son métier il y a quelques années.
Mais comment agir ? Voyons avec lui les 3 premières étapes que chaque PM peut faire concrètement à son niveau. Avant d’évoquer 5 bonnes pratiques d’éco-conception très concrètes et simples à intégrer à son produit.
Les 3 premières choses à faire en tant que PM
Se dire que l’on peut tous et toutes agir à son échelle
C’est tout bête mais Alexandre Takacs veut commencer par rassurer. Un message préalable dont il a réalisé l’importance il y a peu. “Il y a comme une injonction contradictoire vécue au sein de l’écosystème tech entre des enjeux business axés sur la performance et l’efficacité, et des considérations personnelles autour de l’éthique ou de l’environnement, qui peut provoquer une dissonance cognitive”, explique-t-il.
Les PM le savent mieux que personne : avoir des ambitions démesurées et immédiates (comme vouloir changer toute son entreprise d’un coup) est le meilleur chemin menant à l’inaction.
Donc le 1er message : oui, vous pouvez faire des actions à votre échelle. Et mobiliser votre équipe ou vos collègues. C’est l’objet du 2e conseil.
En parler autour de soi
“C’est la meilleure manière de commencer”, suggère Alexandre Takacs. Qui ? Sa squad, sa tribe, les autres PM… Quand ? De manière informelle, pendant un point d’équipe, lors d’un dej… Autre suggestion (tout à fait subjective) : partager cet article sur votre Slack interne pour ouvrir la discussion ;)
L’idée ici est avant tout de voir s’il y a déjà des personnes sensibles à ce sujet qui pourraient rejoindre le mouvement en interne. Seul on va vite mais ensemble, on va loin !
Savoir où l’on en est
Enfin, dernier préalable : mesurer l’impact de son produit et ses fonctionnalités. Pour savoir d’où l’on part et pouvoir se donner une trajectoire avec des objectifs.
Comment ? Il existe quelques outils disponibles gratuitement : EcoIndex (dont la nouvelle version est en cours de développement), l’extension GreenIT-Analysis, EcoGrader, Website Carbon Calculator, Fruggr… “C’est un début mais ce ne sont pas des indicateurs à prendre au pied de la lettre car c’est une notion difficile à mesurer précisément”, précise toutefois Alexandre Takacs.
Pour aller plus loin, il est aussi possible de faire appel à des consultants spécialisés, comme Greenspector ou le collectif GreenIT. “Le marché est en pleine explosion en ce moment”, constate Raphaël Lemaire, consultant, directeur technique et spécialiste du numérique responsable au sein de l’ESN Zenika. Des entreprises tech vont même jusqu’à mesurer l’intégralité de leur bilan carbone, comme la néo banque Memo Bank récemment ou la licorne Alan l’an passé.
Une fois cet état des lieux effectué, place à l’intégration progressive de l’aspect environnemental dans les process ! “Beaucoup de boîtes utilisent la méthodologie RICE pour prioriser leurs décisions. Il pourrait y avoir un indicateur supplémentaire dédié au développement durable. Ou fixer des OKRs globaux liés ces aspects, comme le fait Meetic par exemple”, suggère Alexandre Takacs. Ou, à l’inverse, créer des “anti-OKR” ou “anti-objectif” à chaque projet : des indicateurs que l’on ne veut pas atteindre car ils seraient synonymes de mauvaises pratiques environnementales.
Maintenant que la graine est plantée dans l’entreprise, regardons plus en détails les suggestions faciles à mettre en œuvre pour rendre son produit moins énergivore et donc nocif pour la planète.
5 exemples de bonnes pratiques d’éco-conception
Penser plus “impact” que “fonctionnalités”
Pas toujours facile pour les PM de clamer ouvertement : “Aujourd’hui, on ne va pas ajouter mais supprimer des fonctionnalités !” Pourtant, il y a bien des cas où cela serait nécessaire. Notamment pour celles qui ne sont pas utilisées voire pas vraiment essentielles. Cela vaut pour des pages entières également.
D’autant que l’intérêt n’est souvent pas que environnemental : l’allègement du produit peut améliorer sa performance voire son ergonomie. “Je suis un grand partisan du “Less is more”. Il faut en faire le moins possible pour obtenir le plus d’impact. C’est la base du métier de PM”, confie Alexandre Takacs. Ce souci de la simplicité est d’ailleurs une valeur cardinale de Rémi Guyot, le CPO de BlaBlaCar, comme il l'explique dans cette conférence.
Un exemple ? Au lieu de proposer une consultation quotidienne sur le Web, la solution de veille concurrentielle Price Comparator s’est vue conseiller d’envoyer plutôt des alertes mails à la place. Selon ce rapport de Greenconcept, un courriel sans pièce-jointe pèse en effet entre 10 et 50 Ko soit 30 fois moins qu’une page Web standard. Et en remplaçant une page Web par un SMS, on peut même diviser par 1 000 la quantité de données informatiques à transporter, traiter, stocker, et afficher ! La force du Low-Tech.
Concevoir en “Mobile first”
Un grand classique de l’éco-conception. Commencer par concevoir la version mobile d’un produit offre une contrainte de format qui oblige à aller à l’essentiel et donc à limiter les éléments superflus !
Prenons l’exemple de BlaBlaCar : pour publier un trajet sur la célèbre plateforme de covoiturage, le cheminement est le même sur mobile que sur desktop. Avec à chaque page, une seule information précise demandée. Pas d’image supplémentaire à charger. Juste une action.
Faire du “Vert par défaut”
Autre solution facile : proposer à l’utilisateur le choix le plus écologique “par défaut”, en lui laissant la possibilité toutefois de modifier ses paramètres, comme l’explique ce site. A l’inverse de ce que fait le site de photos Unsplash, dont le bouton amène au téléchargement du plus gros format d’emblée... alors que la version en basse définition est bien souvent largement suffisante !
Ne négligeons pas l’influence des designers et des concepteurs des services numériques pour orienter le comportement des utilisateurs. On connaît le principe des “dark pattern”, ces astuces UX pour les forcer à faire une action qui ne leur est pas forcément bénéfique. Pourquoi ne pas créer des “green pattern” ?
D’autres exemples ? Whatsapp propose de télécharger automatiquement les contenus envoyés lorsqu’on utilise les données mobiles (plus consommatrices d’énergie que le Wifi). Pourquoi ne pas proposer l’inverse par défaut ?
Idem pour les téléphones qui se mettent en mode économie d’énergie quand leur batterie devient faible. Pourquoi ne pas en faire le mode par défaut et demander plutôt si l’utilisateur veut passer à la haute puissance ?
La logique peut même s’étirer jusqu’au dark mode, qui est plus économe sur des écrans de téléphone OLED, comme l’illustrent les applications Spotify, BackMarket ou Netflix.
Images, vidéos, polices… Rendre son contenu léger
Là encore, la frugalité doit s’appliquer. Optimiser, réduire et compresser les images s’avère invisible aux yeux des utilisateurs… mais très bénéfique pour les serveurs (et vos temps de chargement de page !).
Côté vidéo, au-delà du traditionnel haro sur l’autoplay, notons le bon exemple du site de recrutement Welcome to the Jungle qui n’incruste pas de vidéos dans ses pages employeurs mais des images. Ces dernières n'ouvrent un lecteur Youtube que quand elles sont cliquées.
“Enfin, c’est bête mais attention à l’usage de polices de caractère non standards qui vont demander un chargement supplémentaire pour chaque terminal et à chaque page vue”, mentionne Alexandre Takacs.
Récolter juste la donnée nécessaire
Finissons cette brève liste en touchant un des points sensibles des PM : la data ! “Souvent, on a le réflexe de vouloir tout tagger et tracker pour être sûr de ne rien oublier. Sauf qu’on se retrouve au final à n’en utiliser qu’une infime part, ce qui génère des requêtes et du stockage de données inutiles. Et je ne parle même pas des services tiers…”, avertit Alexandre Takacs.
Ceci n’est bien entendu qu’un avant-goût de listes bien plus exhaustives que vous pourrez retrouver dans les liens sous cet article. Mais, déjà, ce sera une bonne façon de commencer à faire sa part. Et que la “honte de prendre l’avion” ne cède la place à celle… de faire du numérique !
Pour aller plus loin :
- Pourquoi le numérique contribue de plus en plus au réchauffement climatique (Le Monde - abonné)
- L’Enfer numérique. Voyage au bout d’un like (Les liens qui libèrent, 2021)
- Pour une sobriété numérique, rapport de The Shift Project
- Le guide d’éco-conception de services numériques
- Les 115 bonnes pratiques de l’éco-conception Web (Eyrolles)
- Les 65 bonnes pratiques du référentiel Green IT de l’INR
- Le Référentiel général d'écoconception de services numériques de l’Etat
- Les sites EcoInfo du CNRS ou GreenIT
- Le Diag Décarbon'Action de Bpifrance et l’Ademe
- Faire un site Low-Tech
Conclusion :
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